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Les engagés de l'île de la Réunion (4) - La seconde vague et l'intégration

Entre 1848 et 1852, l'immigration des Indiens est l'affaire des particuliers et alimente un véritable marché.
Des négociants recruteurs en Inde contrôlent, en véritables spéculateurs, le prix de cession.
165 francs en 1848, 300 à 400 francs à partir de 1850 atteignant le prix d'un esclave pendant la traite légale.
En 1853 la Compagnie agricole d'immigration est créée pour réguler ce marché. Mais le nombre d'engagés recruté baisse et le prix reste trop élevé pour les petits propriétaires.
Le monopole de la Compagnie agricole d'immigration est supprimé pour laisser le recrutement libre, mais le niveau voulu n'est pas atteint.
Environ 38000 engagés indiens seront introduits en 12 ans (1848-1860), recrutés pour la plupart dans les comptoirs français et originaires du sud de l'Inde.

Des engagés africains débarquent aussi dans des conditions rappelant la traite.
Début 1859 l'interdiction du recrutement sur la côte orientale de l'Afrique, à Madagascar, Mayotte et Nossi-Bé va accélérer les choses.
1860-1861, signature des conventions franco-anglaises qui permettent de recruter et d'engager des travailleurs Indiens appartenant à la Grande-Bretagne et d'embarquer ces sujets de Sa Majesté Britannique à partir des ports britanniques ou français de l'Inde.
Dès 1861 le nombre d'engagés augmente, plus de 6000 Indiens débarquent dans l'île.
Beaucoup ne veulent voir qu'une crise passagère, le mouvement migratoire se poursuit donc jusqu'en 1882 quand les Anglais interdisent de nouveau le recrutement en raison d'entorses aux conventions signées. Le flux ne s'arrêtera véritablement qu'en 1885.
Les contrats ne pouvaient excéder 5 ans avec rapatriement ou réengagement.
Dans chaque contingent le nombre de femmes doit être proportionnel à celui des hommes.
Beaucoup d'engagés repartent, mais il y a un nombre non négligeable de renouvellements.
À partir de 1882 les propriétaires entravent les retours.
L'engagement se tourne vers d'autres régions : Mozambique, Chine, Comores, Somalie, Yémen, Rodrigues, et cela jusqu'au début du 20ème siècle en décroissant.
Le nombre cumulé des engagés indien et africain, débarqués entre 1848 et 1859, est supérieur au nombre d'esclaves libérés en 1848 soit 64525 contre 62151. Sans compter quelques centaines de Chinois.
En 1882 on estime à environ 40000 le nombre d'engagés présents à la Réunion.
L'engagement aura parfaitement pris le relai de l'esclavage en quantité et en qualité.

Hélas ! Les conditions de travail et de vie font apparaître de grandes similitudes.
1849 : création de syndics pour protéger et aider les engagés.
1852 : décret décrivant les conditions et mesures détaillées.
Mais rien n'y fait, les colons seront souvent plus durs en exploitant au maximum l'engagé sur la durée de son contrat (5 ans).
En 1848, 4600 Indiens sont dans l'île, souvent en tant que petits cultivateurs ou artisans.
Les engagés trouveront les mêmes conditions de vie que les esclaves :
- logements insalubres et exigus,
- carences alimentaires,
- pauvreté de l'habillement.
Mais aussi les mêmes conditions de travail :
- horaires réglementaires dépassés,
- rythme élevé,
- discipline bafouant les textes.

Il semble que ces conditions étaient meilleures que celles en Inde du Sud (Yanaon, Karikal, Mahé, Pondichéry et Madras) d'où ils venaient.
Mais les abus auront raison d'eux :
- violence et révolte,
- désertion et vagabondage,
- suicide,
- non renouvellement du contrat et retour en Inde.

Avant 1861 les retours sont fréquents. Mais dès 1861 et surtout après 1882 de nombreux obstacles sont dressés, et des mesures attractives sont prévues pour limiter ces retours. Ce qui laisse penser que le sentiment général est au retour.
Les engagés sont considérés comme un danger. Les propriétaires et l'administration coloniale craignent qu'ils réalisent l'absorption de la propriété et de la fortune coloniale.
En effet certains Indiens désirent exploiter, à leur compte, un lopin de terre ou un petit commerce.
Les engagés qui quittent leur travail sans retourner en Inde s'intègrent suivant deux modes.
- les critères raciaux : Blancs, engagés nationaux (affranchis), engagés indiens. Les relations sont inexistantes entre ces 3 groupes,
- critères de classe : exploités et exploiteurs qui entretiennent des relations de force.

La caste des Soudras (entre Brahmanes et Intouchables) est la plus représentée chez les indiens de la Réunion. Bien que certains pratiquaient deux religions, il leur est apparu que leur insertion dans la société était facilitée par leur conversion à la religion dominante.
Jusqu'en 1880 leur rite domine. À partir de 1880 et jusqu'en 1920 les deux rites sont suivis. Ensuite le catholicisme domine avec des assimilations parfois réciproques.
[Aujourd'hui certains intellectuels veulent retrouver un hindouisme plus authentique.]
La résistance à la conversion se fera jusqu'au début du 20e siècle.
Les Chinois et les Indiens musulmans arrivés en dehors du système des plantations ont toujours exprimé librement leur appartenance religieuse.

1870-1945 : après le phénomène de concentration des terres, on assiste à partir de 1919 au démantèlement des grands domaines (crise économique oblige).
À partir de 1870 était apparu le colonat (ou colonage) partiaire : parcellisation des surfaces cultivables.
Les grands propriétaires que sont la famille Kerveguen et le crédit Foncier Colonial disparaissent.
Les difficultés économiques apparues vers 1860 s'accélèrent et plongent l'île dans un marasme qui s'achève temporairement durant la Première Guerre mondiale et l'entre-deux-guerres : chute du cours du sucre, ouverture du canal de Suez et désintérêt de la troisième république pour les colonies.
Cela provoque une diversification de l'agriculture. La vanille fait son apparition malgré la concurrence de la vanille malgache et de la vanilline, ainsi que les plantes à parfum qui se cultivent dans les hauts, tels l'ylang-ylang, le géranium et le vétiver.

Mais seule la Première Guerre mondiale relancera l'économie.
La Réunion va fournir en sucre la France privée de betteraves et devenir un centre d'approvisionnements divers pour l'Angleterre et la métropole.
Mais la Deuxième Guerre mondiale va isoler l'île de nouveau, le gouverneur la plaçant sous le gouvernement de Vichy, provoque son blocus par les Anglais pendant deux ans.
La Réunion est encore au bord de la famine.

Pendant ce temps (1870-1945), des Chinois, puis des Indiens musulmans sunnites viennent de façon spontanée pour tenter leur chance dans le commerce. Ils formeront la "contre-nation".Cela concernera environ 10000 individus.
1860-1901 = Chinois (Cantonnais au nord de l'île, puis Hakkas au sud)
1914 = ceux installés font venir d'autres membres de leur famille pour tenir d'autres commerces. Ils adhèrent au catholicisme.
1870 = Indiens musulmans (Gudjerat). Ils sont venus pour développer les relations commerciales avec l'Inde et l'île Maurice et pour pratiquer une activité agricole.
Entre 1910 et 1939, leur nombre augmente grâce aux bonnes conditions économiques. Ils se mariaient en Inde ou faisaient venir des femmes qu'ils épousaient. Il n'y a aucune conversion chez les musulmans. Ils sont appelés "Z'arabes" et n'ont pas subi les mêmes pressions que les Tamouls.
1945 = 221000 habitants qui connaissent, en majorité, la misère. La pénurie est totale, la guerre ne les a pas épargnés. Les ethnies sont cloisonnées entre elles.
Le 19/03/1946 c'est la départementalisation sans référendum.

Le "temps longtemps" a vécu, l'histoire commune commence à s'écrire.

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